LA PEINE DE MORT

 

 

"Guillotiner, ce n'était rien d'autre que prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux" (Badinter)

 

La peine de mort me semble profondément révoltante et, chaque fois que j'y pense, j'éprouve un vertige nauséeux (ce que le père Balzac dit mieux que moi : A la seule idée d'assister aux fatals apprêts, je sens un frisson de mort dans mes veines "). Les codes pénaux n'ont jamais manqué d'imagination : on brûle, on crucifie, on décapite, on ébouillante, on écartèle, on électrocute, on empale, on étouffe, on fusille, on gaze, on lapide, on pend, on roue et j'en oublie. Camus raconte que son père, qui était partisan de la peine de mort, assista un jour à l'exécution publique d'un criminel, qu'il en vomit de dégoût toute l'après-midi puis finit par changer d'avis...

À mon avis, l'un des plus grands apports de l'arrivée au pouvoir en 1981 de la Gauche et de Mitterrand a probablement été l'abolition de la peine capitale et l'homme politique que j'admire le plus est Robert Badinter, Garde des Sceaux à l'époque et avocat de talent qui ne réussit pourtant pas toujours à sauver la vie de ses clients lorsqu'elle existait encore en France (sous Giscard, qui - sous la pression de l'opinion publique de l'époque - n'utilisa pas son droit de grâce). Mes élèves hallucinent toujours quand ils découvrent que l'abolition est si récente.

Voyons un peu ensemble pourquoi la peine de mort est un châtiment inutile, illogique, cruel et inhumain.

 

1 / La peine de mort est inutile

a) Ses partisans avancent souvent l'argument de l'exemplarité : cela dissuaderait les assassins. Notons tout de suite que toutes les études prouvent le contraire : l'abolition de la peine de mort n'a jamais entraîné une recrudescence de criminalité et son maintien ne se justifie donc pas ; d'ailleurs, si la peine de mort était vraiment aussi efficace, cela ferait longtemps qu'il n'y aurait plus de meurtres - ce qui n'est manifestement pas le cas (probablement parce que l'on espère toujours n'être pas pris lorsque l'on commet un forfait). La dissuasion fonctionne sur le principe de son non-emploi et le recours à la peine capitale est donc un aveu d'échec...

b) En ce qui concerne le problème de la récidive, c'est en réalité une autre question : il s'agit de faire des prisons un véritable lieu de réhabilitation et de réinsertion et, si l'on s'en donnait vraiment les moyens, il n'y a pas de raison de désespérer d'un homme (on n'est plus le même 20 ou 30 ans après) ; mais, à la limite, pourquoi ne pas envisager, dans certains cas bien précis et s'il n'y a vraiment pas d'autre solution, la perpétuité réelle (quant à l'évasion possible, ça n'a rien à voir : c'est le problème de l'évasion qu'il faut régler).

Et à ceux qui affirment qu'il s'agit là d'un châtiment pire que la mort, je dis qu'il me semble un peu louche de défendre la peine de mort par... humanité ! C'est la question de la détention qu'il faut alors régler et qui n'a rien à voir : la prison ne devrait être qu'une privation de liberté et non une torture quotidienne.

c) Mais je voudrais avancer une autre idée : la peine de mort est surtout contre productive, parce qu'elle développe un climat de violence, parce qu'elle l'institutionnalise et la légitime ; on aboutit ainsi au contraire du résultat recherché et tuer est alors présenté comme un moyen normal de résoudre un problème - bel exemple. La peine de mort, c'est un peu peine perdue !

 

2 / La peine de mort est illogique

La seconde idée que les partisans de la peine de mort avancent ensuite est la loi du Talion : " Oeil pour oeil, dent pour dent " - ignorant que le Talion n'a jamais appelé à de quelconques représailles (c'est une erreur d'interprétation, il s'agit en fait non de rechercher une punition mais une réparation équivalente au dommage causé). En effet, à l'origine, aux temps archaïques, il n'existait aucun système de réparation et un forfait était donc vengé : la vendetta en est le meilleur exemple (elle consistait à punir l'ensemble d'un groupe pour le crime d'un seul). La loi du Talion introduit non seulement l'idée de proportionnalité de la peine (" Oeil pour oeil, dent pour dent "), mais surtout - ce que peu de gens savent - l'idée non d'une punition mais d'une réparation de valeur équivalente : si tu as perdu un oeil, tu ne dois pas crever l'oeil de ton agresseur mais celui-ci doit te rembourser la valeur de ton oeil... La philosophie d'origine était donc très différente de la façon dont cette maxime est aujourd'hui comprise !

a) Bref, la vengeance, d'une part, n'apporte aucun apaisement ; comment peut-on se consoler par la mort d'autrui ? Elle ne fait que perpétuer le cycle de la violence : "Le talion est de l'ordre de la nature et de l'instinct, il n'est pas de l'ordre de la loi. La loi, par définition, ne peut obéir aux mêmes règles que la nature. Si le meurtre est dans la nature de l'homme, la loi n'est pas faite pour imiter ou reproduire cette nature. Elle est faite pour la corriger. Or le talion se borne à ratifier et à donner force de loi à un pur mouvement de la nature" (Camus).

b) C'est surtout, d'autre part, tout à fait illogique : on tue un assassin précisément parce qu'il ne faut pas tuer (ce qu'on lui reproche) ! Il y a là une contradiction fondamentale. Il s'agit donc en fait d'un assassinat légal.

 

 

 

3 / La peine de mort est un châtiment cruel et inhumain

a) Aucun homme n'a reçu le droit de disposer de la vie d'autrui : comment peut-on admettre qu'un homme tue son égal, son semblable - un autre homme enfin ?!

"Dans les pays de liberté l'abolition est presque partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout pratiquée.

Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien qu'elle procède de l'idée que l'Etat a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes totalitaires :

[...] Douze personnes, dans une démocratie, qui ont le droit de dire : celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je dis : cette conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté, précisément pour ce qu'elle comporte de signification totalitaire" (Robert Badinter).

Pour répondre à l'astuce rhétorique de l'ami Rousseau qui, dans son Contrat Social, d'inspiration totalitaire d'ailleurs, défend la peine de mort (Livre II, chapitre 5), on dira tout simplement que la société ne peut par définition disposer d'une personne qu'en tant qu'être social (la prison, par exemple, consiste à priver quelqu'un de sa citoyenneté, de son droit de cité).

b) D'où mon deuxième point : la peine de mort porte aussi atteinte à la dignité humaine.

La peine de mort nie l'humanité du condamné. C'est ce que reconnaissait d'ailleurs Barrès, partisan de la peine de mort, lorsqu'il affirmait : "Et, à l'ordinaire, quand nous sommes en présence du criminel, nous trouvons un homme en déchéance, un homme tombé en dehors de l'humanité [...]. Pour ma part, je demande que l'on continue de nous débarrasser de ces dégradés, de ces dégénérés"...

La peine de mort consiste à ôter à un individu le droit de disposer de son corps : ainsi, lorsque l'on réanime un condamné à mort qui vient de tenter de se suicider, juste avant de l'exécuter (comme ce fut le cas pour Laval, par exemple), alors que le résultat est pourtant le même, cela signifie en fait que le condamné a cessé de s'appartenir à lui-même ; c'est ôter à l'homme ce qui fait l'homme comme dirait notre pote Cicéron (Hominem ex homine tollere " pour ceux qui veulent briller dans les dîners en ville).

C'est en ce sens, je pense, que l'on peut répondre à l'argumentation de Kant qui, lui aussi, est partisan de la peine de mort : Si le criminel a commis un meurtre, il doit mourir [de façon à ce que] la mort soit délivrée de tout mauvais traitement qui pourrait avilir l'humanité dans la personne du patient " (Métaphysique des moeurs, Doctrine du droit, II, 1ère section, remarque E), mais, ainsi que l'explique très bien Philonenko, son exégète, c'est là en fait une distinction rhétorique (je simplifie l'analyse sur la distinction "noumène / phénomène" qui n'est pas valable chez l'homme puisqu'on ne peut séparer la vie de la personne), car la peine de mort est par nature un supplice infamant.

c) La peine de mort a un caractère barbare.

Même Barrès le reconnaît : "car en effet c'est un spectacle intolérable". C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certaines des exécutions ont lieu en privé (comme c'était notamment le cas en France) :

L'assassin a été exécuté ce matin. La tête du condamné qui, jusqu'à la fin criait son innocence est tombée dans la sciure en faisant un bruit mou. Un canif et un grattoir ont été nécessaires pour enlever les petits vaisseaux collés à la guillotine. Il a fallu à madame Labadu, femme de ménage de la centrale, une matinée entière pour faire disparaître le sang qui maculait les murs de la prison jusqu'au deuxième étage. Cinq minutes après l'exécution, le corps de l'assassin a été pris de soubresauts dus à une réaction nerveuse post mortem bien connue des spécialistes, chaque spasme étant suivi d'un flot nourri de sang. Un morceau de trachée artère a giclé sur la robe du procureur, qui, avant de se trouver mal, avait dû emprunter au bourreau un mouchoir déjà trempé. Le corps et la tête encore chauds du guillotiné ont été remis à la mère par le gardien chef qui avait prévu à cet effet deux linges séparés... " (Plantu).

Et l'on ne peut pas dire comme Barrès l'affirme encore : "Et ce n'est pas fournir un argument contre la peine capitale de constater, ce que personne ne nie, qu'une vision de décollation est chose atroce", car, à partir du moment où l'on admet que c'est un supplice inhumain, cela signifie alors que l'on reconnaît aussi - par définition - que c'est un châtiment qu'on ne peut appliquer à des hommes.

Le bourreau n'est qu'un boucher, il est même pire qu'un boucher, car un boucher - au moins - n'a pas de sang humain sur les mains lui ; il nourrit les hommes : il les fait vivre.

 

 

4 / En ce qui concerne la doctrine catholique

S'appuyant notamment sur Saint Augustin, l'Eglise continue à défendre la peine de mort dans certains cas exceptionnels (Catéchisme de l'Eglise catholique : article 2266). Outre le fait que la morale doit être indépendante de l'existence de Dieu dans notre société laïque, je trouve gonflé de défendre la peine de mort d'un point de vue chrétien alors que le christianisme se présente précisément comme une religion d'amour et de pardon !

L'homme a en effet été créé à l'image de Dieu, le respect de la vie humaine est donc sacré : Tu ne tueras pas " affirme d'ailleurs le Décalogue.

Ceci contredit également l'idée du pardon et la possibilité pour le criminel de se racheter, que me semble contenir le message d'amour délivré par un certain J.-C.

 

 

Enfin, la peine de mort est un châtiment sans retour : peut-on être jamais sûr de la culpabilité d'un condamné ? Et quand bien même ce serait le cas, ce dernier est-il coupable ou n'est-ce finalement qu'une victime, qui ne fait bien souvent qu'exprimer la violence diffuse, institutionnalisée et économico-culturelle que la société lui a fait subir ?

La peine de mort ne résout rien, elle ne fait que révéler les problèmes d'une société et son maintien ne se justifie donc pas que ce soit d'un point de vue utilitaire ou moral. CQFD.

 

5 / Petite bibliographie indicative

Badinter : L'Exécution ; L'Abolition.

Beccaria : Des délits et des peines.

Camus & Koestler : Réflexions sur la peine capitale.

S. Costa : La Peine de mort de Voltaire à Badinter.

Hugo : Le dernier jour d'un condamné ; Claude Gueux.

 

Ma vengeance, c'est la fraternité " (Hugo).

 

 

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