LE (BEAU) METIER DE PROFESSEUR


Quand on me demande pourquoi j’ai choisi de devenir prof., je réponds : « Pour trois raisons : juin, juillet, août ! ». Parce que c’est bien connu : les professeurs sont tous des privilégiés, des fainéants qui ne foutent rien, sont toujours malades, en grève ou en vacances.

Et si on en finissait avec la démagogie soigneusement entretenue par certains hommes politiques, avec les mythes et autres idées reçues, bref avec les préjugés de caniveau ?


I / Un recrutement exigeant

Au risque de choquer, rappelons d’abord une évidence qui n’aurait jamais dû cessé de l’être : être professeur est avant tout... une profession intellectuelle ! Vous ne me croyez pas ? Jugez plutôt !

Voici les différentes étapes du parcours du combattant pour devenir enseignant :

Comme tout fonctionnaire, un enseignant est recruté sur concours et, pour pouvoir s’y présenter, il faut désormais avoir un master (bac + 5, c’est-à-dire un niveau ingénieur), auquel s'ajoutent en outre un certificat de compétences en langues de l'enseignement supérieur et un certificat de compétences en informatique et internet : c’est le même niveau de recrutement qu’un juge ou un commissaire de police. Un professeur est donc un cadre de la fonction publique et appartient à la catégorie A (les agrégés appartiennent à la catégorie dite « A + » et sont gérés directement par le ministère et non par les rectorats).

Mais il faut ensuite passer et obtenir le concours (le C.A.P.E.S. ou l'agrégation) : les épreuves écrites sont théoriques et portent sur les savoirs académiques de la matière que l’on souhaite enseigner (partie disciplinaire), tandis que les épreuves orales sont pratiques et professionnelles (didactique et pédagogie). Il s’agit de concours particulièrement sélectifs : à titre d’exemple, l’année où j’ai passé le C.A.P.E.S., il y avait 6000 candidats pour 1000 postes (15 % de réussite) et, à l’agrégation, 2000 candidats pour 100 postes soit 5 % de réussite (pour info, le taux de l’E.N.A. est à 4 % et ceux de Polytechnique ou de H.E.C. plus de 10 %).

Ensuite, le lauréat devient stagiaire et entame sa formation en alternance. Il est en service partagé : il suit des cours dans les Écoles Supérieures du Professorat et de l’Education (l’école des profs) et effectue en même temps un stage en responsabilité dans un établissement où il est encadré par un tuteur plus expérimenté que lui (compagnonnage).

Enfin arrive le Graal : l’étape de la titularisation après une inspection par un formateur (ou un inspecteur pour les agrégés) et les avis conformes du tuteur et du chef d’établissement.

Qui osera encore dire que les profs sont des incapables ?


II / Le grand fantasme du temps de travail

Beaucoup se focalisent sur le temps de présence passé à dispenser des cours devant les élèves : un professeur certifié doit 18 heures par semaine (15 pour un agrégé). Mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg qui ne prend pas en compte :

– le temps de préparation des cours (personnellement, il me faut deux heures de préparation pour une heure de cours, soit une demi-journée pour une séance de deux heures : heureusement que je ne refais pas tous mes cours chaque année) ;

– le temps de correction des copies (un prof. ayant entre quatre à huit classes selon les disciplines, s’il veut faire un contrôle par mois, ce qui est peu, doit corriger chaque semaine entre un à deux paquets de copies ; je fais à peu près un contrôle par classe toutes les trois semaines, sans parler des interrogations) ;

– le suivi des élèves (rencontres avec les parents, remplir les bulletins) ;

– les réunions de concertation (conseil de classe mais aussi conseil d’enseignement, conseil pédagogique, conseil d’administration, conseil de discipline...) ;

– les jurys d’examen (bac écrit, bac oral, B.T.S., V.A.E.) et commissions de toutes sortes, sans parler de la prérentrée ni des journées pédagogiques ;

– la formation professionnelle et l’actualisation des connaissances, s’il reste du temps.

Le temps de travail des enseignants a été fixé par un décret qui date de 1950 (à une époque où la durée légale du travail était de 40 heures par semaine). Considérant, selon le décret qui définit les « obligations de service », qu’un enseignant travaille une heure et demi pour une heure de cours devant les élèves, cela revient au total à 45 heures hebdomadaires – soit 40 heures en moyenne, si l’on prend en compte les « petites vacances ».

Certes, mais il reste encore les deux mois des « grandes vacances » pour ces privilégiés d’enseignants. Oui, mais depuis 1950, les autres salariés ont obtenu une troisième semaine de congés payés en 1956, puis une quatrième en 1969, et une cinquième en 1981, avant de passer aux 39 heures en 1982 et enfin aux 35 heures en 2000. Ainsi, le temps de travail des salariés a baissé de 20 % depuis 1950, alors que les enseignants doivent toujours le même service ! Les deux mois de grandes vacances ne compensent même pas les deux mois et demi gagnés par les autres salariés (20 % de douze mois = deux mois et demi).


III / À propos du traitement

Le métier d’enseignant est un métier qui n’attire plus guère aujourd’hui : il n’y a qu’à voir les difficultés de recrutement avec tous les postes aux concours qui ne sont pas pourvus... Malgré la crise et le chômage, malgré les vacances, le métier de prof. n’est pas suffisamment payé – et donc considéré, puisque les deux sont liés – par rapport à l’investissement qu’il suppose. Un néotitulaire est ainsi moins payé qu’un gardien de la paix alors qu’il est recruté comme un commissaire de police, cherchez l’erreur !

En milieu de carrière, un certifié, pourtant cadre, atteint péniblement 2000 euros nets par mois et n’a pas le droit aux avantages des autres cadres : absence de mutuelle, absence de comité d’entreprise, absence de treizième mois, d’intéressement et de participation...

Quant à la sécurité de l’emploi, c’est une vaste blague : le problème n’est pas de faire partir les enseignants mais d’arriver à les garder ! Il faut savoir que la M.G.E.N. ou Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (la caisse de sécurité sociale des enseignants) est le seul oragnisme public – avec le ministère de la Défense – à posséder un hôpital, La Verrière. Mais contrairement à celui de l’armée, il s’agit d’un hôpital... psychiatrique : enseigner rend fou !

Si la situation financière des agrégés est un peu plus favorable (en faisant quelques heures supplémentaires ou quelques heures de colles en classes préparatoires, on arrive à un traitement qui peut être très confortable), la véritable richesse de ce métier est ailleurs : aussi étonnant que cela puisse paraître, le métier d’enseignant est d’abord une profession libérale !


IV / Une profession libérale

En effet, il s’agit d’un métier où il n’y a ni collègues – on ne fait que les croiser en salle des profs – ni supérieur ! Contrairement à ce que beaucoup de gens imaginent, le chef d’établissement (le Principal au collège ou le Proviseur au lycée) n’est pas le supérieur des enseignants. Il n’est que le supérieur administratif, celui qui peut imposer l’emploi du temps par exemple, mais son pouvoir s’arrête à la porte de la classe : il ne peut donner aucune directive d'ordre pédagogique (programme, notation etc.). C’est logique d’ailleurs, il ne peut pas être compétent dans toutes les matières enseignées (mais il peut demander une inspection en revanche). Car le véritable supérieur de l’enseignant, c’est l’inspecteur, autrement dit un fantôme qui n’apparaît qu’une fois tous les dix ans...

Cette double tutelle se retrouve dans la notation qui détermine la vitesse d’avancement de chaque enseignant. Un professeur est noté sur 100 points : 40 points de note administrative (par le chef d’établissement, essentiellement fondée sur la ponctualité et l’assiduité en cours) et 60 points de note pédagogique (par l’inspecteur à l’issue de l’inspection et de l’entretien). On voit par le jeu des coefficients de chaque note qui détient le véritable pouvoir...

Le chef d’établissement n’étant pas le supérieur de l’enseignant et le véritable supérieur de l’enseignant étant absent la plupart du temps, le professeur concentre de fait le pouvoir législatif (le projet de progression annuelle, ce qu’il veut étudier), le pouvoir exécutif (la conduite du cours, les évaluations) et le pouvoir judiciaire (les punitions) au sein de sa classe. Cela s’appelle la « liberté pédagogique » et elle est même reconnue par la loi :

« La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes [...] avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection.

Le conseil pédagogique [...] ne peut porter atteinte à cette liberté » (article L912-1-1 du Code de l’Education).

Le programme laisse d’ailleurs lui-même une grande marge de manoeuvre : en français, en classe de Première par exemple, le programme impose d’étudier un roman, au choix, du XVIIe siècle à nos jours, une pièce de théâtre, au choix, du XVIIe à nos jours également ou encore de la poésie, au choix, du Moyen-Âge à nos jours. On fait difficilement plus large... Le professeur décide donc de faire ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut, tant qu’à la fin de l’année le programme est bouclé !

Mais surtout la liberté réside dans l’organisation de son travail : un enseignant travaille essentiellement chez lui, à son rythme, quand il en a envie, quand il en a besoin. C’est certes un peu solitaire, mais beaucoup plus confortable et c’est également la contre-partie à la pénibilité d’une heure de cours, à la pression que peuvent mettre trente gamins...


Ce qui m’étonne toujours finalement, ce sont ceux qui ont l’habitude de critiquer les feignasses de profs payés à glander et de dénoncer leurs odieux privilèges : pourquoi ne font-ils pas un métier si enviable alors ? Il est vrai que cela nécessite de réussir le concours...