L’ANNOBLISSEMENT EN FRANCE



A l’époque féodale et sous l’Ancien Régime, être noble est une distinction protocolaire héréditaire associée à des privilèges (dont l’exemption d’impôts), mais aussi des devoirs comme l’appel au ban (également appelé « l’impôt du sang » pour justifier l'exemption d'impôts), ou encore l’interdiction d’exercer des professions lucratives (commerce, artisanat ou banque).


L’idée que l’on se fait de la noblesse est aujourd’hui largement conditionnée par la société d’Ancien Régime, héritière de la noblesse médiévale, mais la noblesse ne se définissait pas au Moyen-Âge comme elle se définira sous l’Ancien Régime et à l’époque moderne.

On imagine ainsi souvent que l’anoblissement résulte de « lettres de noblesse » décernées par le roi, voire – dans des cas de bravoure exceptionnelle – de « lettres patentes » (celles-là même qu’évoque par exemple Alexandre Dumas dans Les trois mousquetaires).

On sait aussi que l’occupation de certaines charges permet d’être anobli : c’est la noblesse administrative, qu’on appelle « noblesse de robe », par opposition à la « noblesse d’épée », qui, d’origine guerrière, est considérée comme plus authentique – d’autant plus que ces charges pourront par la suite être achetées (d’où leur surnom de « savonnette à vilain »).


Mais, contrairement à ces idées reçues, la noblesse était un milieu beaucoup plus ouvert qu’on ne l’imagine parfois et le principal processus d’entrée dans la noblesse est en réalité celui de l’agrégation, qui court sur trois générations environ et consiste à partager les valeurs et le mode de vie de la noblesse en adoptant les normes sociales considérées comme nobles (rôle guerrier, absence de travail manuel, etc.) : ainsi, durant tout le Moyen-Âge et le début de l’époque moderne, il suffisait de vivre noblement pendant trois générations pour devenir noble.

En effet, la noblesse a longtemps été un état de fait, un rang social plus qu'un statut juridique clairement délimité : c’est une vie noble qui faisait la noblesse. Ainsi, rares sont celles, parmi les vieilles familles, à être anoblies par lettres de noblesse ou lettres patentes pour fait d’armes ou service rendu : la voie la plus courante est la « maintenue de noblesse » qui constate une vie noble depuis trois générations.

C’est ce que l’on appelle la noblesse d’extraction et, contrairement aux apparences (l’entrée par la petite porte), c’est la noblesse la plus prestigieuse parce que la plus ancienne. C’est d’ailleurs ce qui donne la qualification de « gentilhomme » : un gentilhomme est en effet un noble d’extraction, c’est-à-dire un noble de naissance – à la différence des nobles annoblis par charge ou par « lettres patentes » qui sont nobles sans être pour autant gentilhommes (c’est la raison pour laquelle Louis XIII décida d’annoblir non Corneille mais son père, de façon à ce que Pierre Corneille puisse être qualifié de gentilhomme…).


I / L’époque féodale


En France, le pouvoir d’anoblir a d’abord appartenu à tous les seigneurs qui pouvaient armer des chevaliers, puis, à partir du XVème siècle, il est uniquement réservé au roi.

Au Moyen-Âge, est considérée comme noble toute personne portant les titres de chevalier ou d’écuyer. La chevalerie, qui apparaît autour du XIIème siècle, est à l’origine une population au service des grandes familles héritières de l’aristocratie carolingienne et propriétaires de vastes domaines fonciers. La définition des privilèges de la noblesse n’apparaît qu’au XVème siècle, lorsque le roi définit les conditions d’accès à la noblesse et les privilèges dont elle jouit. Avant cela, la noblesse est donc une place dans la société conférée par un rang dans la hiérarchie féodale.


II / L’Ancien Régime


Avec les premiers anoblissements spécifiés par un acte écrit, les rois de France ont introduit une nouvelle forme d’intégration qui se révéla finalement plus facile à contrôler.

La vérification des titres de noblesse lancée par Colbert en 1662 marque la clôture du « second ordre » auquel on ne pourra plus accéder que par un anoblissement en bonne et due forme. La noblesse se caractérise alors par ses privilèges fiscaux (exemption de la taille), politiques (accès aux assemblées des États provinciaux), de carrière (dans l’armée notamment), honorifiques (préséance à la Cour) et judiciaires (elle est jugée par un tribunal spécifique : le parlement).


III / La Révolution


Contrairement à une autre idée reçue, si la Révolution française a aboli les privilèges, elle n’a pas aboli les titres de noblesse : les titres nobiliaires sont donc toujours en usage et quand ils sont réguliers, c’est-à-dire enregistrés auprès du Garde des Sceaux, ils existent juridiquement comme une extension du nom, bien qu’ils ne confèrent aucun privilège ; le protocole élyséen continue ainsi à envoyer des cartons d’invitation rédigés, le cas échéant, avec l’appellation et le titre adéquats.


IV / La sortie de la noblesse : dérogeance et déchéance


La noblesse ne se transmet pas toujours, car les générations suivantes doivent pouvoir vivre noblement, disposer de fiefs et participer à l’armée féodale et / ou au service du roi. Ainsi, le statut nobiliaire étant la traduction juridique d’une position sociale, de la même façon que l’on pouvait devenir noble en vivant noblement, on pouvait perdre sa noblesse en cessant de vivre noblement, c’est-à-dire en exerçant une activité manuelle ou mercantile, jugée avilissante (le noble se doit en effet de vivre de ses rentes et ne peut exploiter que son domaine).


La dérogeance consiste donc à faire des actes indignes d’une personne noble : son effet est alors de faire perdre, ou plutôt de suspendre, les privilèges de la noblesse (le noble est concrètement mis à la taille). À la différence de la déchéance, qui consiste à ramener une famille noble à l’état roturier (lors d'une condamnation infamante qui fait perdre la noblesse, par exemple), la dérogeance ne supprime donc pas la noblesse : elle ne fait qu’en interdire ou en suspendre les privilèges.


L’exercice de professions jugées dégradantes – qui dérogeaient, donc – sont, par exemple, les métiers de marchand, d'artisan, de domestique et les offices subalternes (huissier, sergent, procureur, notaire). De même, la prise de terres en ferme dérogeait ; en revanche, le noble qui labourait ses propres terres ne dérogeait pas.

D’après le Dictionnaire encyclopédique de la noblesse de France de Nicolas Viton de Saint-Allais (1816), en dehors de l’exploitation agricole, les seules activités non dérogeantes sont les suivantes :

– l’exercice de l’art de la médecine ;

– l’exercice de la peinture sans en faire trafic ;

– la verrerie et l’activité de maître de forges (métallurgie) ;

– le commerce maritime (1629) et le commerce de gros (1701).

J’ajoute qu’à ma connaissance le métier de charpentier n’entraine pas non plus dérogeance, dans la mesure où Joseph, le père de Jésus, était charpentier et qu'il s'agit donc d'un métier qui n'était pas considéré comme infamant.


Une lettre dite « de réhabilitation » accordée par le roi permettait cependant de recouvrer la noblesse pleine et entière.


Depuis la Révolution et le vote du décret du 4 août 1789, il est stipulé que « nulle profession utile n’emportera dérogeance » (article 11).



 

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